vendredi 25 septembre 2015

Au coeur de l'industrie : salaire spécial femme

Le sujet "Que répondre à un employeur lors d'une négociation de salaire, s'il vous pose la question sexiste Combien gagne votre mari ?" étant apparemment encore dans l'air (je me pince, genre double pinçon retourné pour vérifier que je ne cauchemarde pas !), je vais aborder le sujet de façon moins polie que tous les autres conseilleur.es. La question est pour le moins illégale parce que double standard, l'égalité des salaires est acquise dans le Code du travail, et inepte parce qu'elle est hors-sujet. Double standard : si un homme parmi mes lectrices a déjà été confronté à cette situation (Combien gagne votre femme ? en négociation de salaire d'embauche) surtout qu'il se manifeste dans les commentaires et qu'il raconte son expérience, je suis preneuse.
Inepte : vous êtes la dernière, vous avez remporté la victoire en short-list, très short-list, vous avez convaincu, vendu vos compétences, vous les intéressez pour un poste sans doute d'encadrement, et ils vous demandent COMBIEN GAGNE VOTRE MARI lors de l'ultime négociation de salaire ? Ce n'est pas professionnel.

En préparant cet entretien, parce que vous vous êtes professionnelle, vous avez évidemment vérifié si l'entreprise en question dépend d'une Convention Collective telle celle de la Métallurgie (c'est un exemple) qui calcule selon le diplôme, l'âge, l'antériorité dans le poste ; si ce n'est pas le cas, vous savez en gros combien votre compétence vaut sur le marché dans votre secteur d'activité. La négociation doit démarrer sur des données objectives.
L'argument du test (on testerait votre réaction à une question déstabilisante) ne tient pas selon moi : on n'est pas là pour des enfantillages, on est dans une négociation de salaire en fin de parcours de recrutement, normalement, vous devez aboutir. C'est carré. Vous devez en fin d'entretien savoir :
- Votre salaire d'embauche,
- La progression prévue à l'ancienneté,
- Vos objectifs et primes d'objectifs, et éventuelles sanctions pour non réalisation,
- Vos accessoires de salaire (négociables aussi en cas de concession que vous seriez amenée à faire sur le salaire, attention, vous ne cotisez pas dessus pour votre retraite, donc manque à gagner !)
Et s'il y a lieu :
- Vos frais de vie et de déplacement,
- Le véhicule de société ou de fonction (pas la même chose) et le mode de prise en charge des frais -avance ou remboursement fin de mois et sous combien de jours, c'est de l'argent que vous avancez !
- Pour parer à toute éventualité, en fin d'entretien, pensez à demander aussi à voir le bureau qu'ils vous destinent. C'est prudent.  

On conseille sans arrêt aux femmes d'être polies, d'accepter toutes sortes d'humiliations, que les hommes eux n'accepteraient pas, d'ailleurs on se garde bien de les provoquer, du coup les femmes sont polies, trop polies. J'ai posé la question à l'Apec sur Twitter pour voir : voici leur réponse, évidemment très consensuelle :

Si par faiblesse (ce sur quoi ils ont parié en vous posant la question) vous répondiez, il n'y aura plus aucun frein à leur sexisme. Ils ont montré leur face de racistes/sexistes, vous êtes dans une boîte qui considère les femmes comme des salariées de seconde zone, vous êtes assurée que le double standard sera de mise durant tout votre passage chez eux, qu'ils n'ont peut être pas trouvé de mec à votre hauteur et que ça leur reste en travers, vous êtes un pis-aller, ils vont vous le faire payer.  
Je parle d'expérience, ça m'est arrivé.
A ce moment de la discussion vous avez deux possibilités :
1 - Vous choisissez de vous lever et partir. Calmement, en réfléchissant à ce que vous allez dire (un silence glacial est une bonne répartie et un bon prélude à votre sortie) : vous commencez à replier vos affaires, et vous rangez calmement -j'ai fait ça pas mal de fois dans des entretiens commerciaux devant une proposition de prix indécente ; a) ils peuvent essayer de vous retenir, ils sont en train de perdre la face. Dans ce cas, si vous consentez et écoutez leur proposition jusqu'au bout, demandez un délai de réflexion supplémentaire, en disant que vous n'aviez vraiment pas prévu le cas. S'ils vous veulent, ils diront oui à vos conditions. b) Vous allez partir, vous le sentiez venir, des détails des précédents entretiens vous reviennent, vous cessez toute négociation. Mais vous aller sortir avec les honneurs de la guerre : exprimez votre mécontentement argumenté, et négociez le paiement des frais de transport de tous vos rendez-vous avec eux, s'ils n'ont pas été pris en charge (au barème fiscal selon la puissance de votre voiture, pas la note de vos pleins : pas assez cher) en leur faisant bien comprendre de façon subliminale ou expresse qu'il vaut mieux payer, l'affaire pourrait s'ébruiter, vous êtes excellente en relations publiques. Vous leur promettez la facture justificative pour le lendemain, et vous en relancerez le paiement sous 48 heures, autrement vos grandes trompettes de la renommée vont se mettre en branle. J'ai obtenu des remboursements conséquents de cette manière. Évidemment, vous tenez parole.
Les jours suivants, vous faites un signalement en bonne et due forme à l'Inspection du Travail : date, noms, lieux, et circonstances. Bien que peuplée de femmes (horaires : 8H30 - 16H30 qui permettent de concilier) peu solidaires des femmes (je parle là aussi d'une douzaine d'expériences, elles trouvent plus urgent d'enquêter sur les chantiers des gars du bâtiment) vous n'aurez pas ou peu de réponse à vos problèmes "de bonnes femmes". Mais n'hésitez pas à les relancer : il faut être teigneuse. Si c'est un cabinet de recrutement qui vous a fait le coup, signalez-le à son organisme syndical, qui peut être le Syntec.

2 - La pire solution, mais il faut l'envisager : vous êtes au 36ème dessous, vos indemnités de licenciement arrivent à terme, vous devez reconstituer votre épargne et vos droits à l'ASSEDIC, et vous avez des traites à payer. Vous décidez de répondre à toute question infamante : à cyniques, cynique et demie. Vous voulez le poste pour 3 mois, 6 mois, 1 an, le temps de vous remettre en forme et qu'ils vous licencient, parce qu'ils vous licencieront, c'est certain. Il veulent jouer ? Vous y allez : vous savez à quoi vous attendre, ils vont en avoir pour leur argent. Et tenez parole : ne leur en donnez QUE pour leur argent. L'époque est cynique : ni vous ni  moi n'y sommes pour quelque chose. La conséquence du chômage de masse (certain.es y voient un but) c'est que certaines entreprises malhonnêtes croient pouvoir s'affranchir des règles éthiques et de la loi, puisque des quantités de chômeurs sont prêts à toutes les humiliations pour obtenir le poste. Les femmes sont les victimes toutes désignées du système : les dirigeants sont majoritairement des hommes.

L'Apec trouverait mes conseils "radicaux". Moi j'ai toujours trouvé les leurs consensuels mous. Nous sommes quittes. Encaisser les humiliations est malheureusement le quotidien des demandeurs d'emploi, les accepter toutes est le meilleur moyen de perdre confiance en soi et de se déliter, vous n'avez pas besoin de ça. Les conseils "spéciaux femmes", c'est toujours de subir l'humiliation et se taire. C'est toujours la politesse et l'écrasement quels que soient les malhonnêtes tricheurs qu'il y a en face. Je ne pense pas comme ça. Je pense que si les femmes montraient du répondant, le patriarcat et ses ayant-droit seraient moins fringants. Et puis, j'adore les négociations, c'est comme jouer à la marchande, le rapport de forces ne m'a jamais fait peur.

"Si tu t'écrases, ils t'écraseront ".
 

11 commentaires:

  1. Tu as raison, en dehors de la merde extrême (que l'on doit dissimuler à tout prix pour qu'ils ne voient pas «proie» gravé sur notre front, on ne doit JAMAIS accepter de travailler pour des blaireaux… lesquels sont précisément très détectables à leur entretien de recrutement.
    Je me suis levée une fois pour clore un entretien, mais je n'ai pas pensé à demander le remboursement de mes frais. http://blog.monolecte.fr/post/2005/10/28/la-rechute

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    1. Je suis ingénieure commerciale et consultante : c'est mon métier de négocier, c'est même chez moi une seconde nature. Ma mère m'a appris la politesse : je suis polie je m'attends au même traitement : un coup de canif dans le contrat social appelle un minimum de répondant. On apprend avec l'expérience. Merci de ton passage et de ton commentaire.

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    2. Je suis assidûment tes écrits et comme la plupart des gens, maintenant, j'ai tendance à les partager et commenter ailleurs, spécifiquement sur Seenthis où ils déclenchent pratiquement toujours de grandes discussions.

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    3. Merci pour les partages : je vais régulièrement voir ton SeenThis que je trouve passionnant et source d'inspiration. D'ailleurs je me pose depuis quelques temps la question d'en avoir un, ce qui en ferait mon réseau social n° 4.

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  2. Oui, on m'a demandé, et plus d'une fois : combien gagne votre couple (soit : combien gagne votre femme/compagne, elle vous qui entretient puisque vous un chômeur, donc un feignant, et que vous vivez à ses crochets, vous voudriez-donc vivre de notre munificence ?). J'ai à chaque fois répondu que je vivais seul, et jamais je n'ai été embauché, je reste donc un parasite social mais peu importe. Ce qui importe, c'est que cette question, dans son impavide brutalité, son extraordinaire violence, est un des B-A BA de l'entretien d'embauche, hommes, femmes, tous genres confondus.

    Le patriarcat n'est en rien impliqué là-dedans, et ne pas le voir renforce *et* le capitalisme *et* la domination masculine. Ce qui ne m'étonne pas de vous.

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    1. Je n'ai jamais dit que les hommes, spécialement ceux de plus de 47 ans n'étaient pas discriminés mais les femmes subissent, en plus des discriminations appliquées aux mecs, un double standard, une double discrimination. Spéciale femmes. Par exemple, j'ai été discriminée parce que célibataire, vivant sans demander de permission à personne, de mon travail, de mes cotisations ou de mes économies. Une femme libre : oxymore ! L'injonction au mariage et à la reproduction, on m'a reproché de ne pas m'y être soumise, en entretien de recrutement, on se demande ce que ça venait y faire. Que vous ne vouliez pas admettre le sexisme, ça vous regarde, ça ne veut pas dire qu'il n'existe pas. Vous êtes non conforme aux "valeurs" patriarcales : compétition imbécile, virilité, échelle sociale et tout ça, si vous ne vous en rendez pas compte, tant pis pour vous. J'ai accompagné des candidats hommes en reclassement professionnel, j'ai bien vu que la franc-maçonnerie masculine jouait en leur faveur, aussi médiocres qu'ils aient pu être. Chez les femmes, je n'ai JAMAIS observé ce phénomène. Merci de votre passage. PS Il va de soi que pour vous aussi la question était illégale. Mes conseils dans ce post valent pour tout le monde, évidemment.

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    2. PS 2 au précédent commentaire : "Combien gagne votre couple", non pertinent évidemment, n'est pas la même chose que "Combien gagne votre mari", mais là j'imagine que je rentre dans des subtilités sur l'asymétrie entre les femmes et les hommes qui échappent définitivement aux patriarcaux.

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  3. D'accord ! "Combien gagne votre couple?" est certes violent, mais pas autant que "Combien gagne votre mari?" qui est carrément un manque total de respect ! Heureusement je n'ai jamais eu droit à ça (juste un classique -a l'époque- : "Vous comptez faire des enfants bientôt ?") ! Bravo et merci pour vos analyses.

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    1. C'est surtout que ce n'est pas symétrique : la question symétrique à combien gagne votre mari, c'est combien gagne votre femme, pas combien gagne votre couple. Toutes ces questions sont évidemment illégales et non professionnelles, mais combien gagne votre femme (posée à un homme) n'arrive pas (la preuve, personne n'est venu témoigner) et combien gagne votre couple n'est pas sexiste, elle est juste inepte et non pertinente. Mais l'asymétrie n'est pas dans leur logiciel, il ne voient pas (ça les arrange tant) le sexisme, qui ne coule que dans un sens, de l'oppresseur vers l'opprimée. Une femme ne peut pas être sexiste. Le sexisme anti-homme n'existe pas.

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  4. Je ne comprends pas comment ce genre de question peut-être encore posée au jour d'aujourd'hui dans un entretien d'embauche...
    Si je puis me permettre j'ajouterais un conseil, car il ne me semble pas l'avoir lu (j'ai lu l'article hier), c'est surtout leur rappeler que toute question sur la vie privée est illégale et surtout est signe de discrimination. Même si cela ne vous servira pas, cette "subtile" allusion devrait calmer les ardeurs du/de la recruteu r/se lors de l'envie de poser ce genre de questions.

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  5. La question est posée parce que les conseilleurs (voir l'article des Nouvelles News en lien et le tweet de l'Apec) ne disent pas fermement qu'elle est illégale et conseillent aux femmes des stratégies d'évitement de la réponse à une question ignominieuse. D'où mon article : moi aussi j'ai subi les conseils doucereux de l'Apec et des pseudos consultants en RH jusqu'au jour où je me suis rendue compte que je faisais le jeu des malhonnêtes des ressources inhumaines en m'écrasant. Et j'ai décidé de ne plus m'écraser en adoptant un certain nombre de stratégies dont celle relatée ci-dessus : se faire payer ses frais sinon c'est RP à vie. J'ai d'ailleurs fait perdre des clients à quelques boîtes malhonnêtes. Subir de mauvais traitements en allant à ses frais à des entretiens de recrutement montrer sa bobine à des mecs qui ne veulent pas vous recruter, faire des kilomètres (200 à 800 couramment), payer des billets de TGV pour aller à Paris, ma deuxième destination la plus courante, puis rentrer chez soi, se faire traiter de fainéante de chômeuse par sarkozy ou rebsamen, xavier bertrand et consorts ça fait beaucoup pour ma patience. On a le droit de se défendre dans la vie, surtout si on est une femme mâle-traitée. La situation est toujours en défaveur du/de la candidate qui aura tout le temps tort quelle que soit sa réponse ! Inverser le rapport de force est une solution. Merci de votre commentaire et de votre conseil ;))

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